Prise d'acte - licencier son patron ?

Publié le 19 Décembre 2017

Hum...

Hum...

Cette année 2017 a je pense été la pire année de toute ma vie.

Je suis éducatrice avec plus de 10 années d’expérience. J’ai effectué mes 7 dernières années au sein d’une crèche associative en tant que directrice adjointe. Cette petite structure accueillait chaque jour 20 enfants et 8 employés. Elle ne désemplissait pas, nous manquions de places pour faire face à la demande. Pourtant, depuis de nombreuses années, chaque réunion devenait le lieu des lamentations :

  • Il n’y a pas d’argent… Nous allons fermer…. Il faut trouver des solutions… Travailler plus pour gagner toujours pareil, et encore ! Si tout va bien… Récoltons des idées pour transformer l’activité… La subvention de la CAF est en retard… Elle ne suffit pas bla bla bla…

Les menaces de fermeture n’aboutissaient pas et le climat de travail était infect. Les plus anciennes de la structure n’y croyaient plus.

  • Cela fait 20 ans qu’on entend ce discours. On en a marre.

Nous fonctionnions tout de même, avec peu de moyens, sans perspectives d’évolution, de prime d’ancienneté ou autre… Nous faisions tout de même notre métier avec le cœur. Toujours le sourire face aux parents, disponibles vigilantes et bienveillantes vis-à-vis des enfants. Entre nous, il y avait parfois des mésententes, vite surmontées. La convivialité, l’humour de chacune, nous encourageait, nous faisait oublier les soucis. Tout prétexte était bon pour rigoler.

Avant cette maudite année, des retards de salaires survenaient. Ils se résolvaient au bout de 15 jours 3 semaines. Mais, à la fin de l’année 2016, les choses se sont corsées. Nous avons commencé à subir des retards de salaires de plus d’un mois. En novembre, lorsque nous avons décidé, d’un commun accord, d’arrêter le travail…. Miracle, les salaires ont été versés. Ce fut le dernier salaire avant bien longtemps ! Nous n’avons plus rien reçu pendant trois mois… Mis à part l’arrogante méchante humeur de la gestionnaire :

  • Je veux bien vous payez mais je ne peux pas. Vous payez ? Avec quoi ? Comment je fais ? Je vous ai déjà expliqué la situation. J’attends la subvention de la Caf. J’ai fait des courriers, il faut aller manifester làbas…

Et, nous, nous avons continué de bosser. Il était impossible de comprendre pourquoi aucune solidarité n’a pu se mettre en place pour stopper le travail. 3 employées, étaient persuadées que la crèche allait fermer et qu’il fallait attendre, ce serait plus simple. Un mouvement de grève n’impliquant pas tout le monde dans une si petite structure aurait pu être assimilé à un abandon de poste. Nous allions donc bosser sans être payées, espérant chaque jour de voir un virement sur notre compte, une enveloppe contenant un chèque. Mais rien. Les jours passaient ainsi, la situation était tellement absurde que nous refusions d’y croire. Cela viendra, demain peut-être ou la semaine prochaine, à la fin de ce mois… Nos familles mangeaient, le carburant était brûlé dans le réservoir de nos véhicules, les garderies de nos enfants étaient payées, les factures, loyers, crédits aussi et, la sueur séchait chaque jour sur notre front. Seul le salaire manquait.

Prise d'acte - licencier son patron ?

J’ai pour mauvaise habitude de vivre au-dessus de mes moyens (-500 voire 600 chaque fin de mois) Au bout d’un mois de retard de salaire, j’étais en crise.  J’ai demandé un licenciement économique ou amiable. Cela a été refusé. La crèche n’a pas les moyens de régler les indemnités. J’ai proposé d’y renoncer ou de les recevoir ultérieurement. Impossible. Mauvais  exemple surement. Impossible pour moi de trouver un autre emploi avec l’esprit et le compte bancaire paralysés par les problèmes. Chaque jour, je me sentais obligée de « pointer » à mon poste, en retard  de 15 voire 20mn tout de même.

  • Désolée je suis en retard, comme le salaire.

Insolente.

35 heure par semaine : 7h-15h le lundi 8h-16h le jeudi et le mardi 9h-17h le mercredi et le vendredi. 1h intempestivement interrompue pour le déjeuner (visite, téléphone, coup de main, blagues, questions)… Pas le temps de chercher du boulot.

Les tensions déjà existantes au sein de mon couple s’émoussent. Mon mari en veut à la terre entière. Il me reproche de ne pas savoir me faire entendre, de me laisser faire, il nous traite de lavette. Il est en colère mais il ne se mouille pas : pas de conseils, pas d’accompagnement dans les démarches, pas d’encouragements… Que de la mauvaise humeur et des reproches. Il devient exécrable et je le lui rends bien.

Malgré tout, je commence en février le bilan de compétences prévu 5 mois auparavant à ma demande. Les difficultés de la crèche m’ont depuis bien longtemps donné envie de me réorienter. Au cours de nos entretiens, le psychologue du travail me questionne et je suis obligée de lui expliquer cette pénible situation. Derrière ses petites lunettes rondes, son sourire objectif mais bienveillant, la petite bonne femme me dit.

  • Mais vous savez, elle est en tort. Elle n’a pas le droit de faire ça. La loi punit ce genre de situation. Les salaires des employés doivent être payés en priorité… Je crois que cela s’appelle une prise d’acte…

Elle pianote sur son clavier et me sort le texte. J’hésite. J’ai peur que tout cela se retourne contre moi. Au terme des tests de personnalité, elle me fait comprendre que je suis une personne très bien : beaucoup de ressources, intelligente, consciencieuse, qui sait être agréable dans une équipe, n’aime pas les conflits, organisée, avec beaucoup de sang-froid (un peu trop apparemment, limite insensible) etc… Mais que j’ai tendance à me laisser faire et elle cite pour exemple le non-paiement des salaires. Je ne me suis pas reconnue car je tiens absolument à être actrice dans le monde je ne veux pas subir passivement. Je pense qu’il y a trop de situations dont nous sommes les victimes pour ne pas s’enfermer dans celles que l’on peut changer. Ce fut le déclic

Prise d'acte - licencier son patron ?

Voilà comment s’est déroulée ma prise d’acte.

1 J’ai appelé l’inspection du travail et le conseil des prud’hommes pour vérifier la légitimité de cette procédure

2 J’ai ensuite été prendre un dossier de prise d’acte au tribunal des prud’hommes. Et j’en ai encore profité pour faire le point. Là-bas, comme à l’inspection du travail pas de conseils seulement des informations objectives. Ils m’ont encore expliqué la procédure. Ils m’ont chaudement recommandé d’être accompagné soit d’un syndicat, soit d’un avocat. Ils m’ont remis la liste des syndicats.

3 Je me suis rapprochée d’un syndicat, qui m’a demandé les documents en lien (relevés de compte, fiches de paye, contrats de travail, …)

4 Il m’a tout d’abord fallu envoyé avec accusé de réception à l’employeur, une demande officielle de mes salaires et l’informant de mon intention de faire valoir mes droits sous huit jours si le versement n’était pas fait. Il faut ensuite compter 8 jours après la réception de l’avis.

Le 7ème jour, l’un de mes salaires m’est parvenu. Il m’en manquait encore un et demi. Une réunion a été organisée avec tout le personnel. Les difficultés financières de la crèche ont été une fois de plus exposées sur tous les angles. Du bout de la bouche, on demandait à celles qui le pouvait de partir. Une fermeture était prévue … Quand ? Nous étions en mars, on nous parlait d’une fermeture probable en juin, tout en sachant que jusque-là, il était impossible de nous promettre un salaire. J’étais remontée.

Il fallait continuer le travail, pour les parents, pour les enfants, pour l’association et en espérant un virement de la CAF, une embellie quelconque. Moi, de ma place je me demandais dans quelle secte nous étions. J’ai ouvert ma g… comme d’habitude :

  • Quand seronsnous payées ?
  • Nous t’avons expliqué que nous ne savons pas.
  • Celles qui ne peuvent plus continuer à travailler sans être payées que meton en place pour elles ?
  • On ne peut rien faire pour le moment. Toi en plus, tu as un diplôme d’éducatrice tu n’auras pas de mal à trouver un travail. Tu n’as qu’à partir. A dit la gestionnaire.

Nous étions dépitées, démontées, yeux écarquillés et bouches closes. Le lendemain, j’ai déposé une des congés annuels prétextant des démarches pour une réorientation (comment me refuser cela ?) et j’ai posté mon courrier de Prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail aux torts exclusifs de mon employeur (non-paiement des salaires), avec AR, sans préavis. Lorsque le courrier a été glissé dans l’ouverture de la grosse boîte jaune, je ne faisais plus partie de l’entreprise.

5 Le dossier a été déposé trois semaines plus tard aux prud’hommes afin que la prise d’acte soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La procédure a pris 9 mois. O mon île O soleil !! Et ses lenteurs administratives…

J’ai eu gain de cause  ce mois, peut-être que cela annonce du meilleur pour l’année 2018.

Rédigé par Sylvie

Publié dans #Boulot

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