Mon fils aîné a pris des cours de tambour tout au long de l'année scolaire. L'association dans laquelle il est inscrit a organisé plusieurs représentations dans les villes des alentours. Les spectacles étaient magnifiques. Mais je commençaient à les connaître. J'étais tout de même à chaque fois contente de m'y rendre afin de valoriser mon garçon, lui montrer que j'étais fière du travail accompli et encourager les actions de l'association. Je rencontrais là-bas les autres parents, mon fils, lui, passait du temps avec des jeunes de son âge.

Une des dernières représentations a eu lieu à la tombée de la nuit, un vendredi. A une vingtaine de minutes en voiture de chez moi. Ma semaine avait été harassante. En plus, il avait plu toute l'après midi. Le temps était frais et humide. Les enfants étaient acheminés en bus. Mon père s'y rendait, je lui avais demandé de ramener Anthony.

Un petit sentiment de culpabilité me tracassait tout de même : "Alors tu ne peux pas faire l'effort d'aller regarder le spectacle de ton enfant... Tout cela pour rester couchée devant la télé... Toutes les autres mamans y seront. Elles demanderont sûrement pour toi. Ce n'est pas sérieux. Après tu diras que plus ce garçon grandit et plus il s'éloigne de toi... Mère indigne"

- Cela te gêne si je ne viens pas ce soir? Je suis fatiguée. Lui dis-je

- Alors là pas du tout.

- Ton grand-père viens.

- Ok

... Et cette conscience qui continuait de me tracasser.

- Bon; je viendrai peut-être. Je ne te le promets pas.

-Ok

Il s'en fout royalement.

Plus tard, je suis bien décidée à rester chez moi. Je suis confortablement lovée dans les bras de mon amoureux : Le canapé situé en face de la télé. Le téléphone retentit. C'est Anthony :

- Maman, quand tu viendras tu pourras m'amener un gilet s'il te plait, il fait un peu frais.

Coup de grâce. Je m'habille, et je pars avec le gilet ~~(qui soi-dit en passant ne sera pas utilisé car pas assez branché au goût de monsieur Anthony)~~

J'arrive, j'ai du mal à cacher mon agacement. Heureusement, je suis d'emblée accostée par une maman qui est aussi venue voir sa fille et qui est dans le même état d'esprit que moi. Je me détends légèrement. A la fin du spectacle des enfants, il y a la partie destinée aux adultes qui commence. Elle regroupe des chanteurs, des slameurs, des poètes, des musiciens et doit se prolonger jusque tard dans la nuit. Je vais féliciter les enfants, saluer les autres parents et mon père, je ne pense qu' à m’éclipser discrètement : Ma conscience me rappelle de nouveau à l'ordre : "Ce n'est pas correct, ça fait vraiment la fille qui vient voir uniquement son fils et qui ne s'intéresse à rien d'autre" Je me rassieds. Les slameurs et conteurs se succèdent.

L'un d'entre eux est plaisant. De ma place, je le détaille. Il semble si à l'aise face au public. Je le regarde plus que je ne l'écoute. Cheveux courts, peau sombre, tenue simple (jeans et chemise) Je n'arrive pas à estimer son âge. Il ne porte pas d'alliance. Je suis curieuse je m'interroge... Qui est-ce ? Que fait-il de son temps. Les jeux de mots qu'il raconte sont intéressants et réutilisables dans le cadre de mes activités. Il en a fait un livre qu'il présente. Sa deuxième partie est consacrée à des "jeux de mots sur le thème de l'amour" J'aime moins. Ce genre de poésie sentimentale me laisse complètement insensible... Baratin. Mensonges, bagout. Je préfère les compliments simples et personnalisés. C'est sûrement stupide de ma part. La fatigue intellectuelle m'emporte pendant cette partie... J'ai une absence... Je pense sérieusement à rentrer chez moi. Je vais à nouveau dire au revoir à mon père et mon fils. Je suis alors interpellée par une mère :

- N'as-tu pas vu l'auteur des jeux de mots ? Il a une maison d'édition.

- Ah bon.

- Tu pourrais venir le rencontrer pour lui parler des histoires que tu as écrites, te renseigner auprès de lui pour les publier.

- Tu crois ?

- Mais oui, viens avec moi, je veux lui acheter ses deux bouquins.

- Ok

Je n'ai pas trop envie de dire à cette amie que je souhaite tenter l'aventure de l'auto-édition. Au moins une fois dans ma vie, juste pour voir. Ce projet est en effet incertain et loin d'être abouti. J'hésite entre la souplesse d'envoyer un manuscrit à une maison édition déjà existante et l'aventure rocambolesque et risquée de l'autoédition. Nous le cherchons du regard. Il est en conversation avec une jolie mulâtresse. Lorsque nous nous approchons, il se retourne.

Et là,... Coup de foudre.

J'en avais entendu parlé, mais je ne l'avais jamais vécu. BOUM, un éclair. Tout disparaît, tout devient flou. Surprise, terreur, émotions. Je ne m'y attendais pas. Je suis gênée. Je lutte. Je ne sais pas si mon amie s'est aperçue de quelque chose. J'en perds mes mots. Je souris bêtement. J'ai envie de fuir. Il n'est pas extraordinairement beau mais quelque chose dans ses yeux me glace. Nous échangeons quelques banalités, je lui parle de mon histoire. Il me donne les réponses attendues, les réponses de toutes les maisons d'édition. Je comprends qu'il a déjà un auteur qui écrit des contes. Il me dit qu'il me faut trouver un illustrateur et lui envoyer l'histoire illustrée qui passera au comité de lecture et on verra. Il me propose son numéro. J'accepte enchantée mais je me sens stupide car je me doute que le numéro est sur internet. Lorsque je déverrouille mon téléphone la photo de mes deux derniers gamins s'affichent sur le fond d'écran. Et je redescends sur terre vitesse grand V.

Ma conscience me balance : "Voyons Sylvie, qu'est ce que tu crois... Tu n'as plus 15 ans ! Divorcée deux fois et trois enfants ! Ne va pas te chercher des problèmes ?"

Je le remercie. Il est interpellé. On veut lui acheter ses livres. Il s'excuse, il me demande de l'attendre car il va chercher des bouquins dans sa voiture. Je constate que c'est pour deux jolies femmes. Je suis déjà jalouse Brrr.. Je déteste ça. Il est tout de même charmant. Mais il me laisse l'impression, d'un séducteur, d'un papillon. Je me méfie des préjugés... Peut-être est-il en couple, marié, père et simplement en pleine activité professionnelle. De toutes façons je ne l'attends pas. Je réfléchirai ultérieurement à la possibilité de passer par sa maison d'édition. Et puis c'est tout.

Les jours d'après il m'a envoyé un ou deux flyers par whatsapp de ses autres représentations. Je me suis dis qu'il avait sûrement adressé ces brochures à tous ses contacts. Je ne m'y suis pas rendue à cause de mon organisation familiale ou de mes horaires de travail... Je ne sais plus.