Confinement : Vivre libre ou mourir ?

Publié le 21 Mai 2020

Confinement : Vivre libre ou mourir ?

Il faisait si beau ce jour-là. Nous étions pourtant, depuis plusieurs heures, enchaînes aux écrans. Il flottait dans mon petit appartement une inquiétante tranquillité. Ma fille, âgée de cinq ans, couchée en chien de fusil sur son petit lit rose, serrait son doudou en tétant les doigts. On pouvait la croire endormie ; son regard était braqué sur le sourire artificiel de Barbie qui nageait avec les dauphins pierres précieuses. Dans l’autre pièce, seuls les pouces de son frère aîné s’agitaient de part et d’autre de la tablette, actionnant des robots en guerre.

  • On éteint les écrans ! m’écrai-je
  • Oh non ! répondirent-ils en chœur.

J’avais moi-même tellement envie de m’affaler sur le canapé situé face à la télé et échanger de places les stupides bonbons colorés de Candy Crush… Mon cul, mon dos et mes paupières étaient endoloris par toutes ces heures de télétravail.

  • On va se dégourdir les pattes !

Mon fils me lança un regard récalcitrant.

  • On va où ?
  • Bin autour de la maison comme d’habitude.
  • Ah non. C’est nul.

Je sentais l’agacement monter.

  • D’accord. Nous irons … Ajoutai-je laissant planer le mystère. Près de la plage !
  • Wéééé ! crièrent-ils.
  • Mais on ne pourra pas se baigner.
  • Ah bon ?
  • Bin oui. C’est interdit.
  • Pourquoi c’est interdit ? Il y a le Corona virus dans l’eau.
  • Non je ne crois pas. Mais c’est comme ça.

Pas envie d’expliquer ces directives nationales que je trouvais stupides et complètement démesurées.  Je dissipais l’inquiétude du contrôle de police. Cela valait le coup. L’humour noir de ma sœur résonna : « Bin vas-y, me disait-elle à chaque fois que je plaignais du confinement, Tu te payeras une balade à 135 euros ! On a bien le droit de se faire des cadeaux parfois ! »

Ils éteignirent leurs écrans respectifs et reprirent leur vie de gosse : Mon garçon sauta sur sa trottinette et se mit à faire des aller et retour dans la maison. Ma fille vint se plaindre de la faim puis d’un microscopique bobo sur le poignet qui la faisait atrocement souffrir. Je soufflai dessus et la pris dans mes bras. Le remède fut magique puisqu’elle partit se mettre en travers de la route de son frère bras écartés, il beugla :

  • Pousse-toi ! Maman elle m’embête !
  • Sors de là.

Elle plissa les yeux et n’en fit rien. J’eu envie, un bref instant de rallumer tous ces maudits écrans qui les rendaient si dociles. Chamailleries, cris, bousculades, rires fusèrent. Mon aîné, âgé de 16 ans, sortit de sa chambre surement appelé par le tumulte. Il tapa l’épaule de sa sœur et dit : « C’est toi qui as le Corona Virus ! »  il se mit ensuite à trottiner dans le petit salon, pourchassé par la petite fille faussement en colère. Je redoutai la chute sur un coin de table, un front ouvert, une dent pétée sur le carrelage ou les remarques acides de la locataire du bas : « Vos enfants font trop de bruits. Vous traînez vos chaises, cela fait du bruit. »

Vite, partons s’amuser ailleurs.

Nous arrivons enfin sur le chemin en tuf qui borde à la plage. Il n'y a pas un chat. De part et d’autre de la route, de petits arbres et épineux se mélangent aux cocotiers géants. Ma fille me prend la main, son frère ramasse un bâton pour mieux mener la marche. Je suis contente, ils respirent l’air frais, ils bougent, ils profitent du paysage.

  • Courez courez ! m’écriai-je. Evacuez votre trop plein d’énergie pour rentrer calme.

En fin de balade, j’aperçois trois gendarmes blancs qui encerclent ma vieille Peugeot. Mon fils est affolé :

  • Maman, il y a la police ! J’ai peur… Ils vont nous arrêter ?
  • Mais non voyons. On n’a rien fait de mal.

Une boule s’est tout de même formée au milieu de mon estomac : Je suis partie en voiture me promener, près de la plage, avec mes enfants, à environ trois kilomètres de chez-moi. Voilà mon délit. Merde.

 

J’en garde un goût amer. Je veux aujourd’hui m’en débarrasser en vomissant ma colère.

A maintes reprises, ces mois de confinement, je me suis sentie bafouée.

Violée par ces intrusions répétées dans ma vie privée : Où je vis ? Où je vais ? Pourquoi ? Pour combien de temps ?

Humiliée de devoir, à l’aube de mes 45 ans, remplir une autorisation de déplacement.

 Infantilisée par le manque de confiance d’un pouvoir faussement surprotecteur.

Rabaissée par un document stupide, invérifiable et source de malaise,

Séquestrée, privée de mon droit divin soi-disant inaliénable : La liberté.

Prisonnière à mon domicile, j’étais tiraillée entre la peur de propagée la mort et celle de ce confinement qui me dénaturait.

Je ne pouvais réprimer un sentiment d’oppression. Dieu lui-même nous a accordé sa confiance en nous laissant le libre arbitre, la possibilité de faire des choix et d’agir. La limite à la liberté la plus solide est celle qui est basée sur l’adhésion (accepter la limite comme sienne) : Il s’agit de poser une problématique, définir ensemble le cadre et ses objectifs. Ce procédé requiert respect et communication. A chacun de ces multiples contrôles, le paradoxe de l’innocence en détention me frappait de plein fouet. Ce confinement m’aura permis de réaliser que cette liberté, liberté chérie, est finalement si fragile.

La réplique de mes ancêtres fait étrange écho : Vivre libre ou mourir. J’espère que nous n’aurons jamais plus à choisir.

A plusieurs reprises, ce jour, j’ai chaussé mes souliers, ouvert ma porte d’entrée et je suis sortie. Le cœur presque léger.

Rédigé par Sylvie

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